Galilée et la conception copernicienne de l’univers
Le malentendu entre les sciences et la foi
Philippe Niederlender, historien.
Au Moyen-Age la cosmologie est une question religieuse ; à l'Époque Moderne elle relève de la science. Dès lors l'univers tout entier appartient au monde matériel. Le système de Ptolémée (v. 90-v.168), le « géocentrisme », place la Terre au centre du « monde » ce qui convient aux chrétiens du Moyen-Age. La Terre est le lieu le plus bas et donc celui des imperfections. La perfection se trouve au ciel et Dieu est au plus haut des cieux. « L’héliocentrisme » de Nicolas Copernic (1473-1543) explique comment les planètes gravitent autour du Soleil.
☀︎ ☀︎ ☀︎
Au XIIIe siècle, les traductions des textes d’Aristote du grec ou de l’arabe au latin se multiplient et les premières universités apparaissent. A ce moment du Moyen-Age, l’essor du commerce et des villes marque la fin de la féodalité centrée sur les châteaux et les domaines seigneuriaux. Les intellectuels comme les Dominicains dépassent la notion de « mépris du monde » de la tradition monastique. La modernité est un retour au monde et à l’Homme.
Regiomontanus (1436-1476) critique le système de Ptolémée qui ne permet pas de comprendre la précession des équinoxes (en effet, la Terre tourne en oscillant sur son axe comme une toupie). Il compare ses observations avec les résultats obtenus des calculs issus de l’Almageste de Ptolémée et constate de nombreuses divergences. Dans l’Epitoma il rectifie l’Almageste. L’ouvrage inspire Copernic et nombre de savants jusqu’au début du XVIIe siècle.
Pour Copernic, tout s’explique si la Terre et les planètes tournent autour du Soleil. La première édition du De Revolutionibus orbium coelestium paraît à Nuremberg en 1543, année de la mort de Copernic. Le livre ne fut pas un succès de librairie. L’ouvrage est difficile à lire, ce qui explique en partie cet échec.
En 1588, Tycho Brahe publie le De Mundi Aetherei Recentioribus Phaenomenis, liber secundus dans lequel il expose une étude de la comète de 1577 et propose, en réaction contre le système copernicien, son système « géohéliocentrique », dans laquelle la Terre est encore immobile, centre de l’orbite du Soleil. Le Soleil reste, selon lui, le centre des orbites des autres planètes. En 1588, Tycho Brahe n’attache plus les planètes à des sphères solides.
Le dominicain Giordano Bruno rejette en 1584 dans la Una et dans le De l’infinito universo e mondi l’idée d’un monde fini. Il critique Copernic et décrit un univers infini. Des étoiles innombrables seraient autant de Soleils au centre de systèmes planétaires. Giordano Bruno accusé d’hérésie par l’Inquisition est condamné à être brûlé vif après huit années de procès, en 1600.
Képler publie le Mysterium Cosmographicum en 1596 dans lequel il affirme que le système de Copernic est vrai. Le mouvement des planètes résulte selon lui de l’action d’une « force physique ». Il formule ses premières lois fondamentales : d’une part, les planètes décrivent des trajectoires elliptiques dont le Soleil est un foyer et d’autre part, le mouvement de rotation est régulier.
Galilée est nommé professeur de mathématiques à Pise, en 1589. L’astronomie va être renouvelée par les mathématiques. Galilée apprend en 1609 l’existence d’une lunette déjà utilisée par les Hollandais. Il s’en procure une, l’améliore puis en revendique la paternité.
Sa lunette grossit plus de vingt fois. Il découvre ainsi les reliefs de la Lune et les satellites de Jupiter. En 1611, Galilée voyage à Rome dans le but de rallier l’Eglise à ses découvertes. Le pape Paul V accorde une audience à Galilée. Le cardinal Robert Bellarmin (1542-1621), « gardien de la doctrine » est inquiet et demande aux mathématiciens du Collège Romain de vérifier les calculs de Galilée. Ceux-ci confirment, par la voix de Christophe Clavius (1537-1612), les découvertes du savant pisan. Bellarmin demande alors au Saint-Office d’enquêter sur Galilée. Il déplace ainsi la question des découvertes de Galilée du domaine scientifique sur le terrain doctrinal. Mais le Saint-Office comme le Collège Romain blanchissent le savant qui gagne en popularité.
Dans sa lettre sur les taches solaires (1612), Galilée conclut à la rotation du Soleil. Les anti-galiléens tiennent alors à démontrer « l’impossibilité de concilier l’héliocentrisme et les Saintes Ecritures ». Le 20 décembre 1614, le dominicain Tommaso Caccini (1574-1648) s’en prend violemment à l’opinion copernicienne au cours d’un sermon. Il commente le chapitre X de Josué, dans lequel ce dernier, pour avoir le temps de vaincre les Amorrhéens, demande au Soleil d’arrêter sa course. Ce qui donne la preuve, selon lui, de la mobilité de l’astre autour de la Terre. Galilée répond en affirmant qu’on ne peut interpréter les Textes Sacrés à la lettre. Le mathématicien s’aventure ainsi sur le terrain théologique. Le 12 avril 1615, le cardinal Bellarmin fait connaître la position officielle de l’Eglise : l’héliocentrisme permet de sauver les apparences et ne serait qu’une théorie. De plus, le concile de Trente interdit la libre interprétation des Ecritures…
Galilée cherche des appuis politiques et le soutien de l'opinion publique en publiant une lettre publique de quarante pages le 12 mars 1615 à Christine de Lorraine, la Grande Duchesse de Toscane. Il écrit en langue vulgaire et non pas en latin pour porter le débat au delà des milieux savants. L’Eglise catholique traumatisée par la réforme protestante, craint un nouveau schisme et refuse de remettre en question la vision du monde de l’époque. Le 24 février 1616, le Saint-Office condamne l’héliocentrisme de Copernic. Tous les livres traitant de l’héliocentrisme sont mis à « l’index des livres prohibés ». Le cardinal Bellarmin convoque Galilée. Le Saint-Office lui interdit de soutenir désormais la théorie copernicienne. Néanmoins il publie en 1632 le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, plaidoyer en faveur de l’héliocentrisme. Un procès s’ouvre à Rome en avril 1633. Galilée est condamné le 22 juin et doit abjurer ses idées héliocentriques suspectes d’hérésie et son Dialogue sera interdit.
René Descartes (1596-1650) et plus tard Isaac Newton (1643-1727) vont proposer une vision du Monde qui abolit la distinction entre physique terrestre et physique céleste et permettre ainsi l’émergence d’une science moderne. En 1633, apprenant la condamnation de Galilée, Descartes renonce à publier son Monde, un traité de cosmologie s’appuyant sur la théorie copernicienne. Newton publie ses Philosophae naturalis principia mathematica (1687) dans lesquels il introduit la « loi de la gravitation universelle » qui permet la synthèse des travaux engagés depuis Galilée.
☀︎ ☀︎ ☀︎
Les sciences se dégagent de la théologie dès le Moyen-Age et se développent au XVIe siècle avec la Renaissance puis au XVIIe siècle avec la révolution scientifique. La religion expliquait le monde et voilà que le monde, avec les sciences, explique la religion. Le malentendu entre foi et sciences se creuse avec Charles Darwin (1809-1882) et la théorie de l’évolution, avec Karl Marx (1818-1883) qui pense avoir trouvé la loi qui régit l’histoire. La découverte de l’inconscient par Sigmund Freud (1856-1939) ébranle à nouveau les certitudes et depuis Albert Einstein (1879-1955) tout serait devenu « relatif »… Après des temps de replis et de refus du monde moderne, l’Eglise avec le concile Vatican II s’ouvre au monde de son temps et accepte la remise en question des sciences… Le pape Benoît XIV en 1757 avait déclaré recevable l'héliocentrisme. Le pape Jean-Paul II (par la voix du cardinal Poupard) réhabilite Galilée, entre 1979 et 1992. Cette « réhabilitation » lève ce qu'il appelle le « douloureux malentendu » et la « tragique incompréhension réciproque ». Cette réhabilitation survient à l’occasion du centenaire de la naissance d’Albert Einstein… La déchristianisation se poursuit mais la foi chrétienne se renouvelle. Le rapport aux textes sacrés (ou profanes), source de « malentendu », reste encore un enjeu important au XXIe siècle.